Lysiane 63 ans
L’atmosphère: A table nous n’avons pas le droit de parler ma sœur et moi, sauf si l’on nous adresse la parole. Avant on mangeait à la cuisine avec la jeune fille Suisse Allemande et mes parents et mon frère dans la salle à manger.
Scène: Nous sommes à table mon père, ma mère, ma sœur, mon frère et moi. J’ai d’après mes souvenirs 10 ou 11 ans. Je porte un tablier bleu clair avec une poche en forme de chien basset noire cousue sur le tablier.
Ma mère: “Lysiane, tu manges”, puis le ton monte, on sent l’exaspération… “File dans ta chambre je ne veux plus te voir…”
Moi: Je pleure et “je file dans ma chambre”, je la déteste…
Un autre jour: au menu je sais plus mais en tout cas du riz . J’ai toujours le petit tablier bleu avec la poche chien…
Ma mère:- “Tu vas manger enfin !”
Moi: “Oui.” J’avale un verre d’eau avec une poignée de riz, et ainsi de suite. Pour finir discrètement je prends plusieurs poignées de riz et les glisse dans la poche-chien. Plus tard je les jetterai à la poubelle. Voilà j’ai évité une scène à table.
Je suis en conflit permanent avec ma mère et le seul moyen que j’ai trouvé pour m’opposer à elle est la NOURRITURE !
Enfant, elle me trainait chez différents pédiatres parce que “je ne mangeais rien à part du pain et de l’eau ” dixit ma mère. Je pense que j’allais en cachette dans le frigo prendre un bout de fromage, un fruit. Je me souviens du nom d’un de ces médecins: Dr Guinandognol, je ne sais pas si je l’écris juste ! Mais je poursuis: c’est un guignol… Quand j’étais beaucoup plus jeune, avant 4 ans, je ne parlais pas, j’étais très renfermée. A cause de ma prochaine rentrée scolaire, mes parents ont consulté une psychologue ou psychiatre où parait-il j’allais “jouer avec les marionnettes”. Ce médecin, après quelques séances, les a envoyés chacun faire une psychanalyse sans grands résultats… Pendant des années j’ai cru à tord que c’était mon frère qui avait dû se faire soigner et personne ne m’a jamais détrompée. Jusqu’à quelques années en arrière évoquant cet épisode auprès de ma mère elle me dit en se fâchant: “mais c’est toi qui allais chez le médecin jouer aux marionnettes”. Moi je tombais des nues…
Après l’épisode à table en famille…
Vers l’âge de 11 ans je décide de ne plus manger, réaction à un mal-être, pour qu’on s’occupe de moi et aussi j’espère (sans succès ) pouvoir aller à l’école à la montagne loin de ma famille. Après cette demande de fuite à mon père pour mon anniversaire il me dit:” mais tu n’es pas heureuse à la maison ?” Donc je continue à vivre mal. Vers 14-15 ans je commence le chapitre des régimes, et/ou de jeûnes, mais je ne suis jamais en surpoids jusque vers l’âge de 19 ans. Là, après un séjour comme jeune fille au pair en Angleterre, je prends une dizaine de kilos. Je m’alimente très mal vu que je n’aime pas la cuisine anglaise. Quantités de bonbons gélifiés (wines gums ), barres chocolatées style Mars et Twix. Malgré tout, cette année à l’étranger a été une période très heureuse dans ma vie. Pourtant à l’étranger sans connaître cette langue, je reviens en Suisse en rêvant en anglais et en ayant “le mal de ce pays”. Le monde à l’envers, me direz-vous peut être !
Puis mon poids se stabilise plus ou moins, ma vie de femme commence. Je rencontre mon futur mari à 24 ans. Retour à Genève, mariage. Mon premier enfant naît par césarienne à 29 ans. En sortant de l’hôpital après 15 jours, je pèse 2 kg de moins que mon poids au début de la grossesse où j’avais pris 18 kg ! Je reprends le travail à temps partiel après 8 semaines. Arrangement avec mon employeur pour allaiter mon bébé sur mon lieu professionnel. J’ai mis une année à me remettre avec une immense fatigue et je pense une dépression post-partum non diagnostiquée et pas traitée par conséquent. Au retour de la maternité je subis un choc et une violence psychologique dont je ne pourrais parler à personne pendant 5 ans, et après 6 mois de psychothérapie à mon thérapeute. Mon deuxième enfant naît 4 ans plus tard par voie normale (4,500kg). A l’âge de 37 ans environ je suis un traitement de fond pour des migraines ( sibelium je crois) qui n’aura aucun effet sur moi hormis de me faire prendre 10 kg que je ne perdrais plus jamais !
Auparavant période d’un divorce très difficile qui va durer plusieurs années. En parallèle je mange beaucoup par périodes mais sans savoir que je suis “malade”. Puis un jour dans une revue spécialisée je lis un article écrit par une psychiatre spécialisée dans les T.C.A. et là je réalise que ce dont elle parle correspond à mes symptômes. Donc je prends contact avec ce médecin et je suis une thérapie cognitivo-comportementale, suivi d’une période de travail en groupe. Un jour ce médecin me dira: “je ne peux plus rien pour vous.” Et me voici renvoyée à mon problème. Mais je suis tenace et je vais continuer à me battre, ou plutôt mieux accepter cette maladie et tout mettre en œuvre pour m’aider à la gérer au mieux, en faire une alliée en quelque sorte… En même temps comme je n’ai plus de médecin de famille cette psychiatre me conseille un médecin avec qui elle collabore.
Ma première rencontre avec ce médecin va être marquante ! C’est un tout jeune médecin qui vient de s’installer. Vais-je lui faire confiance ? Un petit bureau, la chaise du médecin, puis de l’autre côté deux chaises. Il vient s’asseoir à côté de moi et nous commençons à dialoguer. Ce petit geste tout simple, probablement pas pour beaucoup de médecins, m’a déterminé à lui donner ma confiance. Quel chemin depuis environ 10 ans je crois! Des hauts et des bas bien sûr, des tentatives avec deux médicaments:….+…., dont un retiré du commerce mais avec lequel j’avais quand même perdu quelques kilos pour les reprendre une année après. Mais surtout un suivi régulier avec mon médecin à l’écoute de ces hauts et bas ! Et inlassablement de répéter et d’insister sur les collations. Ça marche mais des fois je n’en ai pas envie et alors commence la spirale du drogué en recherche des plaisirs immédiats: boulangerie, pâtisseries, et autres confiseries…je les connais toutes. A cela s’ajoute les magasins de tabacs et les bonbons gélifiés présents presque partout !
Un jour j’entends parler du programme de l’hôpital : hospitalisation pendant 2 semaines avec sortie le week end. Je suis tout de suite partante. Mon médecin pense que cela est venu au bon moment. En tout cas, depuis j’ai perdu environ 12 kg et je me bats pour ne pas trop reprendre de poids.
Parallèlement j’ai entamé une démarche en art-thérapie que je vais poursuivre jusqu’en décembre 2013.
En conclusion je pense que c’est difficile pour moi d’accepter que je souffre d’une maladie chronique, je n’en avais pas pris conscience jusqu’il y a peu de temps. Par ailleurs les journées de suivi à l’hôpital m’aident à poursuivre ce chemin semé d’embûches ainsi que le soutien indéfectible de mon médecin.
Merci à tous
Juillet 2013